Enis Batur
D’une bibliothèque l’autre
Tantôt symbole du vertige et de l’angoisse qu’éprouvent les êtres humains face au mystère, à l’infini, tantôt image plus sereine d’un chaos primordial que l’industrie humaine parvient à ordonner, la bibliothèque est au centre de nombreuses œuvres littéraires. Dans la lignée de Borges et d’Alberto Manguel, un auteur moins connu, Enis Batur (le “Doppelgänger” turc de Manguel), a fait paraître un petit ouvrage étonnant sur le caractère labyrinthique de la bibliothèque. Si l’écrivain nous invite à nous y perdre, il insiste aussi sur l’impossibilité ensuite de s’en échapper. Si Dédale le fascine comme Borges, il ne peut s’empêcher de penser à Icare, d’espérer échapper au piège qui l’a pris, de voler un jour hors des murs, hors des livres.« Telle est ma conception de la bibliothèque : elle recèle des projets de voyage dont le nombre recouvrirait et dépasserait la durée limitée de ma vie, fût-elle-même celle de Mathusalem. Cette idée s’ouvre sur un système que déterminent, bien au-delà de moi-même, des volées d’escaliers, certaines jaillies de terre, d’autres plantés dans les profondeurs avec toute la vigueur d’une constante inflation de marches et progressant obstinément de salle en salle, s’ouvrant çà et là sur des passerelles qui autorisent mes allées et venues : c’est un organisme grossissant, grandissant, croissant sans cesse de lui-même, impossible à brider, incontrôlable. Je m’y rendrai seul. Je m’assiérai. Il arrivera que j’y croise des visages connus ; puis, passé un certain stade, j’éprouverai le désir, impossible, de sortir. »
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