Eugène Zamiatine
Nous autres
Au début de l’année 1946, alors qu’il n’a pas encore commencé à rédiger 1984 (Gallimard, 2013, catalogue), Orwell fait le compte rendu d’un autre roman d’anticipation des années vingt, l’excellent Nous autres du russe Eugène Zamiatine. Politique, Nous autres l’est certainement. Mais c’est aussi le plus métaphysique des romans d’anticipation. Il pose le premier le principe totalitaire sur lequel tous les autres romans dystopiques reposeront par la suite : « La liberté et le crime sont aussi intimement liés que, si vous voulez, le mouvement d’un avion et sa vitesse. Si la vitesse de l’avion est nulle, il reste immobile, et si la liberté de l’homme est nulle, il ne commet pas de crime. »Le meilleur des mondes possibles est donc un monde totalement purgé de liberté, un monde de la stricte nécessité, un monde conçu sur le modèle de l’arithmétique, celui du « deux fois deux : quatre ». Ce n’est pas la perte de la raison qui plonge alors le monde dans la folie mais la raison érigée en dieu, la lente infiltration d’une logique de mort par tous les pores de la société.Dans le roman de Zamiatine comme dans la plupart des romans d’anticipation, l’amour est la force subversive, le grain de sable dans l’engrenage qui fait trembler l’édifice. L’amour est exorcisme : il rompt le charme de l’État sous l’emprise duquel l’homme abdique sa liberté. Avec l’amour commence le conflit entre Nous et Je, entre l’abstraction d’une société idéale et l’individu bien vivant, avec sa force de révolte et son caprice animal, retrouvés. L’être humain se découvre soudain une « âme », maladie « incurable » contre laquelle les anticorps de la logique ne peuvent lutter.
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