Benjamin Fondane
« Bifur », n° 5 (30 avril 1930), in « Écrits pour le cinéma : le muet et le parlant »
Charlie Chaplin a désormais son musée en Suisse. On sait par tous les écrits de l’époque (ceux de Desnos, d’Aragon, Cendrars, Fernand Léger, etc.) comment, dans les années vingt, les films du petit vagabond soulevèrent l’enthousiasme de tous les milieux d’avant-garde. Surtout connu comme poète et philosophe, Benjamin Fondane fut également un excellent critique et théoricien du cinéma. Lorsqu’au milieu des années vingt il quitte la Roumanie pour Paris où il marche sur le fil de toutes les avant-gardes, lui aussi partage l’enthousiasme général pour le film muet.Plus que tous·tes les poètes·ses et critiques de l’époque peut-être, alors que déjà le cinéma parlant arrive en fanfaronnant, il saura mettre en relief ce qui selon lui faisait la spécificité du cinéma muet et lui valait l’appellation de « septième art » : le fait que par lui advenait un langage totalement libéré des chaînes de la pensée discursive, langage qui ne s’embarrassait d’aucune syntaxe, d’aucune logique, et qui ne pouvait que transporter l’unique héritier du philosophe russe Léon Chestov.Mais Benjamin Fondane ne se contente pas d’écrire sur le cinéma. Il travaille également en tant que scénariste aux studios Paramount de Joinville, où il se familiarise avec les diverses techniques cinématographiques. Durant l’été 1933, Fondane adapte même pour le cinéma un roman de Ramuz, La séparation des races (in Romans II, Bibliothèque de la Pléiade, 2006, catalogue), qu’il juge « un admirable poème ouvert à toutes les possibilités visuelles et psychologiques », par ce point de vue si particulier du narrateur qui met sur le même plan le monde de la nature et celui des êtres humains. Le film est réalisé par Dimitri Kirsanoff, auteur de plusieurs films d’avant-garde. Il est pour Fondane l’occasion de mettre en pratique plusieurs des principes qu’il défendait dans ses écrits théoriques sur le cinéma : l’idée notamment que le son ne vienne qu’« impressionner » l’image, non se superposer à elle. À cet égard au moins, le film Rapt (1934) est un modèle du genre.Deux ans plus tard, c’est en Argentine que Benjamin Fondane réalise enfin son rêve de devenir metteur en scène. Invité par son amie et bienfaitrice Victoria Ocampo, qu’il avait rencontrée quelques années auparavant chez Léon Chestov, il tourne Tararira en 1936, « un film absurde, sur une chose absurde, pour satisfaire [son] goût absurde de la liberté ». Le film retrace les tribulations délirantes d’un quatuor de luthistes parfaitement inadaptés et que pour cette raison, comme chez Chaplin ou les Marx Brothers, la société réprime. Fondane en résume ainsi l’intrigue dans une lettre à sa sœur : « Ce sera la caricature de la société d’aujourd’hui, un monde où l’art n’est plus… Les Aguilar ne pourront être engagés pour un concert qu’uniquement parce qu’on les prend pour de célèbres bandits et, vers la fin du film, se révolteront contre la condition que leur fait le cinéma, refuseront le mariage et le baiser final et préfèreront, en jouant sans instrument le Boléro de Ravel, mettre en pièces le salon d’une vieille duchesse qui les avait fait jouer – par pitié. ». Le film fait scandale au point que la maison de production se refuse à le diffuser. Les copies du film et le scénario lui-même ne seront jamais retrouvés.De retour en France et malgré le flamboyant fiasco de Tararira, Benjamin Fondane ne renonce pas pour autant au cinéma. Mais c’est la guerre, qui interrompt tout projet. Après sa mobilisation en 1940 et la débâcle française, le poète vit avec sa femme sous l’Occupation dans un petit appartement parisien où il est arrêté en mars 1944. Sa sœur Line et lui sont d’abord enfermé·es à Drancy, transféré·es fin mai à Auschwitz, assassiné·es début octobre. Tous·tes les ami·es du poète avaient intercédé pour sa libération, qui fut à un moment rendue possible, mais pour lui seul. Il la déclina donc pour rester aux côtés de sa sœur.
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