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Jakob M. R. Lenz
L’ermite de la forêt : un pendant aux souffrances de Werther

L’ermite de la forêt : un pendant aux souffrances de Werther

« Je suis un mendiant », confie Lenz en janvier 1776 à l’un de ses amis. Mais l’idée de bientôt rejoindre son ami Goethe à Weimar le réchauffe pourtant un peu car, sa subsistance assurée, tout ce qu’il lui sera possible de faire là-bas – pour l’idéal !Un mois après son arrivée à la cour de Weimar, l’euphorie semble complètement retombée. Lenz écrit : « Je quitterai bientôt cette trop ravissante cour et m’en irai dans un ermitage des environs afin de venir à bout de mon travail pour lequel je ne fais que rassembler des forces. Je renoncerai au monde entier et à tous mes amis. » Le 25 juin, Goethe prend ses fonctions de conseiller à la cour et le 27 à la brume, Lenz quitte Weimar, à pied, sans bagages. Il se réfugie dans un ermitage où il travaille au roman épistolaire L’ermite de la forêt (J. Corti, 1990), qui nous éclaire beaucoup sur la tournure que prirent à Weimar ses relations avec Goethe. Au-delà de toutes les querelles personnelles que l’on peut supposer, il existait une rupture plus profonde entre les deux hommes en lien à leur rapport à l’idéal. Dans ce roman où les noms sont à peine maquillés, un certain idéaliste nommé Herz, « être dont tout le bonheur n’est que rêves et qui piétine la réalité » écrit au non moins certain épicurien Rothe : « Sois heureux au milieu de tes créatures légères et laisse-moi mes chimères ! » À Weimar, malgré toutes les recommandations et les mises en garde qu’on lui adresse, Lenz reste fidèle à ces « chimères » que sont devenues pour Goethe les idéaux du Sturm und Drang.Lenz envoya le manuscrit de son roman à Goethe, qui prit bien soin de l’enfouir dans un tiroir. Schiller ne l’en ressortira que des années plus tard. Goethe, en la personne de Schiller, avait trouvé un remplaçant idéal pour Lenz, plus fiable, plus contrôlable et faisant mieux la part des choses entre la poésie et le réel. Lenz fut donc oublié, pratiquement, jusqu’à ce qu’un demi-siècle après Büchner s’y intéresse.Entre temps, un autre poète passa, une génération après, dans le sillage de Goethe et de Schiller vieillissants, à Weimar et Iéna. Fils de pasteur comme Lenz, et ne voulant comme lui pour rien au monde exercer le ministère pastoral que l’on voudrait qu’il endosse, le jeune Friedrich Hölderlin est l’incarnation même du héros schillérien, l’épitomé du romantisme sacrifiant tout à sa vocation poétique pour laquelle les cadres sociaux sont trop étroits.Comme Lenz, Hölderlin pensait qu’aux côtés de ses maîtres à Weimar, il allait enfin pouvoir accomplir sa mission de poète. Quelle déception aussi quand il découvre le vrai visage de ceux qu’il vénérait.En la personne de Lenz et de Hölderlin, se joue peut-être le drame de l’idéalisme. Car tandis que d’un côté l’on brûle « toutes les torches incendiaires de l’imagination », de l’autre, bien assis, l’on a déjà relégué tout cela dans le « monde idéal ». Quoi de commun désormais entre Goethe ou Schiller, et l’incendie qu’ils ont allumé dans le monde (qui brûle en Lenz, qui consume Hölderlin) et qu’ils ne parviennent pas à étouffer sous leurs conseils de tempérance et de tiédeur ? Après un bref retour à la cour, Lenz (et Hölderlin à sa suite), brûla tous ses vaisseaux en quittant Weimar cet hiver-là. C’était l’hiver à partir duquel « il erra à travers le monde d’un lieu à l’autre, sans plus trouver le repos. »

Édition
J. Corti, Paris, 1990
Traduction
Traduit de l’allemand par François Mathieu
Proposé en
février 2016