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Roger Gilbert-Lecomte
Œuvres complètes I, Proses

Œuvres complètes I, Proses

Quand au début des années 1920, quatre lycéens hors du commun (René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Robert Meyrat et Roger Vaillant) se rencontrent à Reims pour former ce qui deviendra très vite « le Simplisme », le Surréalisme n’existant encore qu’en puissance dans le ventre de Dada. Des quatre jeunes hommes, Roger Gilbert-Lecomte semble être la tête pensante (et brûlée). C’est autour de lui et de ses idées qu’on se rassemble. Sa présence illumine le groupe et l’autorité avec laquelle il parle le dresse en véritable prophète de l’idéal simpliste, dont la meilleure expression devait être donnée par Gilbert-Lecomte dans une œuvre qui ne verra jamais le jour (lui conférant l’auréole d’une perfection toute « simpliste »).À la fin des années 20, les Simplistes, à l’exception de Meyrat, sont à Paris et fondent avec quelques autres (le poète vagabond Pierre Minet « phère Phluet », le philosophe et poète André Rolland de Renéville et le peintre Josef Sima) la mythique revue du Grand Jeu, dont trois numéros paraissent entre 1928 et 1930. Fondamentalement proches du Surréalisme, les membres du Grand Jeu, Lecomte et Daumal en tête, s’en éloignent à mesure qu’ils y discernent une révolution qui ne serait que littéraire, qui s’en tiendrait au dire. Car il faut pour eux que chaque mot, chaque idée, aient été éprouvés au creuset de l’expérience avant d’être énoncés, et tendre ainsi par tous les risques à la réalisation des notions qu’autrement c’est en vain qu’on pérore dans quelque phantasme poétique. Cette marque du vécu confère à la plupart des textes du Grand jeu une rare autorité : l’autorité de celui qui a vu.Arthur Rimbaud restera toujours le guide par excellence de Gilbert-Lecomte sur « le sentier qui brûle ». Ayant jusqu’à l’extrême fait sien le précepte rimbaldien du « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », il relit la trajectoire du poète de Charleville à partir de sa propre aventure qui lui fit dépasser les limites de l’humain. Les textes enflammés que Gilbert-Lecomte consacre à Rimbaud comptent sans doute parmi ses plus belles proses.Roger Gilbert-Lecomte meurt seul dans un hôpital parisien le 31 décembre 1943 d’une crise de tétanos. Ses amis avaient depuis longtemps renoncé à le sauver du désastre dans lequel l’avait plongé la drogue. Elle fit de sa vie une « promenade perpétuelle en pleine zone interdite ». Elle fut son Harar, le Grand Jeu qu’il joua seul – en s’y perdant. Il avait tenté le pari de planter sa tente dans le gouffre : elle se brisa quand le gouffre se referma, avalant tout entier le Grand Œuvre de sa vie.

Edition
Gallimard, Paris, 1974
Proposed in
January 2021
Subcollection
2.10 - French ↗